Le 9 avril nous levons l’ancre pour joindre Kourou, à 10 milles des îles du Salut. Il y a une petite « marina » sur le fleuve à 1,5 mille de l’embouchure, mais pas de place pour les voiliers de passage. Nous jetons l’ancre pas trop loin du ponton.
Le courant est assez fort à cet endroit et le petit moteur de l’annexe peine pour le remonter. Nous restons juste quelques jours dans cette petite ville sans grand intérêt pour nous, qui vit surtout grâce au centre spatial, d’où partent les vols Ariane, cocoricoooo. Et si sur les îles nous avons pris quelques bonnes pluies, ici nous prenons des déluges ! Impressionnantes les quantités d’eau qu’il peut tomber, alors qu’au Cap vert on en manque tant !
Nous découvrons ici le « sport » national, enfin local : la détention en cage d’un petit passereau chanteur : la picolette
pour éventuellement participer à des concours de chant (de l’oiseau, pas du propriétaire).
Un concours nous n’en avons vu que dans la série télé « Guyane », mais partout ici on voit des cages garnies bien exposées à la vue, et à la moindre occasion les propriétaires sortent leur picolette pour qu’elle prenne l’air, et aussi pour se montrer avec, la cage posée sur le toit de la voiture à l’arrêt, quand ils ne les font pas suivre au boulot ! On en verra partout en Guyane, y compris chez les amérindiens, cela fait partie du paysage autant urbain que rural.
On ne peut pas faire notre entrée administrative à Kourou, comme prévu. Bon, le 12, nous reprenons la mer pour St Laurent du Maroni, une nuit de navigation pas très tranquille, entre l’orage et l’attention à porter aux pêcheurs. On doit naviguer un peu loin de la côte, une bonne dizaine de milles, à cause des hauts fonds et de possibles bancs de limons. L’approche de l’embouchure du fleuve Maroni doit être prudente et nous devons attendre quelques heures que la marée remonte assez pour entrer dans le chenal balisé.
A St Laurent, à 16 milles de l’embouchure, nous rejoignons une marina qui a installé des corps morts dans le fleuve, et où nous pourrons laisser le bateau en confiance pendant un périple à terre.
Le temps de s’organiser, de prendre les contacts, de réserver, de se faire vacciner (ici c’est facile et gratuit, 1ère dose de Pfizer), le 24 mai on prend l’avion pour Maripasoula, à près de 250 km de là vers l’intérieur (le trajet par le fleuve est compromis par le niveau très haut du Maroni et l’inondation de certains hébergement étape).
Voici sur cette carte les différentes destination de ce périple
Maripasoula est un village à la limite du Parc amazonien de Guyane (parc national), et carrefour des populations noirs marrons (issus de la fuite des esclaves du Suriname) et en amont, amérindiens Wayanas. Mais il y a aussi des créoles (métis d’ esclaves affranchis guyanais et des rares colons français ayant survécus aux premières tentatives de colonisation ), des brésiliens, des haïtiens,des chinois, des Hmong, des métros (souvent en poste dans l’armée, la gendarmerie, les administrations)…
Juste en face, au Surinam, sont installés une succession sur pilotis de supermarchés, d’entrepôts divers où on peut tout acheter, dont le matériel pour l’orpaillage clandestin, de boites de nuit/bordels , tenus par des chinois.
Notre hébergeur, chez qui nous installons nos hamacs, est une vedette boni (les premiers noirs marrons à avoir fui le Suriname). Issu du dancehall (variante du reggae), il s’attache maintenant à faire connaître sa culture en mêlant un son moderne et les rythmes et danses traditionnels (Aléké et Awassa), très bien illustrées sur cette vidéo :
Nous parvenons grâce à Rickman à joindre Michel Aloïké un piroguier et guide amérindien, qui est de plus le chef coutumier du village de Taluen où nous voulons aller, 37 km en amont sur le fleuve.
Après avoir remonté le fleuve en pirogue, on nous fait installer dans un carbet
puis nous visitons le village et ses alentours. Les villages amérindiens de l’intérieur sont peu ouverts au tourisme. Il faut d’ailleurs en principe une autorisation préfectorale pour s’y rendre Nous y sommes tolérés, à condition d’être sous l’invitation du chef coutumier, mais l’impression de ne pas être à notre place est assez forte : en fait il n’y a pas d’espace public, les familles ont leur maison et dépendances, assez espacées, sans espace délimité, et sauf autour du tukushipan, le carbet d’accueil et de cérémonie, flanqué de son terrain de volley,
on a toujours l’impression d’être chez quelqu’un, d’autant que souvent le carbet cuisine est ouvert à tous les vents.
Le chef nous a consacré un peu de temps pour nous guider et nous expliquer différents points de l’histoire du village, de la vie de ses habitants, de ses souhaits pour sa communauté. Il nous présente son ami qui réalise un « ciel de case »
à l’aide de pigments naturels, comme celui qui orne et protège le tukushipan
« Le ciel de case porte sur une multitude de mythes fondateurs Wayana. Il existe environ 25 représentations symboliques illustrées dessus, chacune d’entre elles représentant un mythe ou un conte, dont la transmission orale peut aller jusqu’à une heure : esprits de la Nature, animaux dangereux de la forêt et aquatiques que les Wayana ont réussi à maîtriser, grandes batailles… Le ciel de case a une fonction protectrice d’un côté, au sommet du Tukushipan, le carbet communautaire. De l’autre côté, il témoigne des différentes étapes de l’histoire du peuple. » (citation naturerights.com)
Taluen dispose d’un groupe scolaire conséquent (primaire seulement), d’un bureau de poste, d’un centre de soins. Différents service sociaux viennent tenir permanence de temps en temps. Par contre il n’y a aucun commerce (épicerie), il y a un chinois à 2 km de là sur la rive surinamienne, il faut prendre la pirogue.
Bien que cette courte incursion en territoire Wayana ait été très intéressante, nous en garderons une impression de malaise. Par ailleurs nous avons pu lire de nombreux articles sur le mal-être amérindien dans notre société moderne centrée sur la réussite, l’argent, l’ascenseur social… le taux de suicide chez les jeunes est spécialement élevé. L’ouverture au tourisme, à une dose raisonnable et bien menée, est une gageure, alors même que les amérindiens souffrent de leur perte progressive d’identité. Comment conserver leur liens profonds avec la nature quand ils sont tous liés au téléphone portable, au pétrole pour les moteurs des pirogues, débroussailleuses et quads, aux services sociaux aussi présents ici qu’en Lozère ?
Nous repartons après 24 h passées sur place et de Maripasoula nous reprenons l’avion pour Saül, au cœur du département. Ce village de 80 habitants, complètement isolé (ni piste ni route ni fleuve), est sorti de terre lors de la première ruée vers l’or, puis a connu le déclin dans le années 60, et actuellement les habitants s’opposent vigoureusement à toute reprise de cette activité. C’est maintenant une destination naturaliste reconnue pour la qualité de ses forêts, faisant partie du Parc amazonien, et dotée de différentes structures d’accueil.
C’est autour de Saül que nous avons fait le plus de balades en forêt, objet de l’article précédent. Mais c’est aussi dans les jardins autour des maisons que l’on voit le plus de faune, en particulier les colibris. Les habitants sont parfois de sacrés numéros, certains métros installés là depuis 30 ans, malgré l’isolement et le coût de la vie (ravitaillement onéreux en avion, et très peu de cultures locales). Les fêtes sont arrosées et baignent dans les décibels, en particulier chez le voisin Lulu, sacré numéro lui aussi ! Ça, et la circulation des quelques quads, font dire à certains que Saül est bruyant, maintenant !
Nous, on a trouvé du calme (surtout après Maripasoula, où la musique est bien plus forte!), enrichissant par les personnes rencontrées et agréable pour l’immersion facile dans la nature.
Pour tout dire on a quand même souffert de la chaleur et de l’humidité lors des randonnées, en bottes, et parfois sous la cape de pluie !
Allez encore un coup de coucou pour Cayenne, la capitale
où nous ne restons que la journée, le temps de revoir cette ville qui ne manque pas de charme, et de faire quelques achats souvenirs.
Nous avons contacté notre ami naturaliste Philippe Gaucher, qui va nous guider dans certains endroits de la montagne de Kaw au Sud-est et nous aide à trouver des hébergements, ce qui dans cette période (covid, peu de tourisme) n’est pas facile.
Philippe nous a fait découvrir une grotte à coq de roche, un oiseau emblématique de la forêt, qui y niche en compagnie de chauve souris et autres araignées cavernicoles
Un coq de roche (Rupicola rupicola) nous avons fini par en apercevoir un. Les mâles de ces oiseaux du sous-bois sont très colorés, contrairement aux autres espèces de ces milieux, et paradent dans certains endroits recevant les rayons du soleil.
Une petite visite au marais de Kaw
une rencontre avec l’une des grenouilles colorées du sous bois
et nous sommes de retour au bateau à St Laurent, à temps pour stopper la moisissure qui s’installe ça et là, par défaut d’aération suffisante.
Puis c’est l’annonce du reconfinement covid à partir du 14 mai ! Pour nous c’est l’abandon de projets de visites autour de St Laurent, en particulier sur la côte pour assister à la ponte des tortues. Nous pouvons nous déplacer en bateau (à priori) et l’avons testé en remontant le Maroni sans que les gendarmes, très actifs sur le plan d’eau pour repousser toutes les pirogues qui passent sans arrêt du Suriname en France, ne nous disent rien. A terre nous sommes bloqués sauf achats.
Mais de toutes façons la saison avance et nous prenons nos dispositions pour remonter vers Grenade et les Grenadines, pour sortir le bateau de l’eau sur un chantier à Carriacou, pour donner un coup sur la coque (Carriacou appartient à l’État de Grenade, tout en faisant partie de l’archipel des Grenadines. L’autre état des Grenadines, au Nord, se nomme « St Vincent et les Grenadines »)